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Le chemin de Damas
27 juillet 2009

Le chemin de Damas

Jeudi

Quelque part en bas, un grand cri retentit dans la nuit. Ici, personne ne l’entend, car les baies vitrées sont fermées, personne ne fume sur le balcon ce soir. De plus, l’air est frais, nous sommes en mars.  J’ai depuis longtemps abandonné l’espoir de poser mes pieds sur la table basse ; toute sa surface est couverte de bouteilles, pas toutes vides, et c’est heureux, car nous ne partons pas tout de suite. D’ici une demi-heure sans doute, quand tout le monde aura atteint ce degré d’éthylisme bien précis où l’on est terriblement chaud ; où l’alcool et l’impatience de prendre du bon temps permettent de donner le meilleur de soi-même. Je promène un regard étonnamment indulgent, presque attendri, sur les pieds nickelés ici rassemblés ;  je suis arrivé de fort méchante humeur, car j’ai encore le souvenir  de l’arrogance avec laquelle m’a traité un paki (surement illégal), dans un night-shop du quartier européen. Mais maintenant que plusieurs heures se sont écoulées, et que l’alcool lui aussi s’écoule dans mes veines, je suis pris d’une formidable bienveillance envers tous ceux qui sont ici. J’aperçois S. et G., les jolies pétasses de circonstance, assorties de Phil, toujours insatiable dans sa quête désespérée de chattes. Arrimé à une bouteille de vodka comme si sa vie en dépendait (ce qui est le cas), ce bon vieux Roustam, gros corps boudiné dans une chemise Bouvy déjà humide de cette mauvaise sueur, annonciatrice de l’état de non-retour. Il y a l’inusable Dave, qui promène sa petite tête de belette, toujours à l’affut d’une victime facile à tourmenter ; en l’occurrence ce sera G. ; c’est franchement un oiseau pour le chat ; elle est très sotte et complètement bourrée ; elle ne résistera pas longtemps aux assauts de Dave… Non non, il n’y aura pas de viol, car chez Dave, le plaisir sexuel est verbal, jamais physique. Pour être sur d’y arriver, il attend que G. (ou toute autre pétasse dont les charmes sont inversement proportionnels à l’intelligence) passe à sa portée, et entame immédiatement un débat à bâton rompu qui se solde inévitablement par sa victoire écrasante. Dave préfère avoir raison que tirer son coup. Mais ce soir, le spectacle de ses sordides progressions ne suffit pas à me faire froncer les sourcils, car j’aime d’un amour fou l’humanité entière, et ce sentiment est suffisamment rare pour que les ennuyeuses saillies de Dave ne gâtent pas mon plaisir.

Une heure plus tard, nous partons enfin. Les sentiments sont très diversifiés ; Dave angoisse de ne pas pouvoir entrer dans la boîte, Phil est dans une forme olympique, Roustam, hagard, fixe le sol de ses yeux exorbités, je grince des dents. Nous décidons de passer par chez Sissi.

Bientôt l’alcool éclipse toute lucidité, mais pendant un bref moment, dans cette voiture qui roule à travers la ville, un noir sentiment de fatalité s’empare de moi; sourd aux conversations éthyliques de mes camarades de débauche, je colle mon haleine viciée à la vitre et tente d’apercevoir ce qui se trame dehors, dans la nuit froide et aveugle.

Dans les heures fiévreuses qui ont précédé notre sortie, mes lèvres se retroussaient, dévoilant mes dents en un sourire fébrile et carnassier. Mais là, dans ce temps mort où les immeubles aveuglent défilent autour de moi, l’excitation se relâche brutalement, et jamais je n’ai été aussi convaincu de l’incroyable vacuité de nos vies. Mais c’est un sentiment fugitif, et, grâce à Dieu, mon agenda est assez fourni pour m’éviter de penser à ce qui se passe dehors, à l’extérieur de nos vies. Plus tard, si la soirée a rempli ses promesses (paradis artificiels, vanité satisfaite), alors le retour sera sensiblement différent ; ce sera une hallucination hébétée et stupide, émerveillée du spectacle de la vie qui s’éveille sous le ciel bleu de l’aube.

Chez Sissi

-    … ! J’ai appris un petit secret sur toi ! roucoule-t-elle tandis qu’elle se jette sur moi. Sissi, très jolie, absolument charmante et d’apparence si ingénue, et surtout un cul à se damner. "Tu a fais du baaaanc !"

Je nie avec empressement, même si intérieurement je suis émoustillé d’apprendre que Sissi (et un nombre non négligeable de ses copines) sont abonnées au même club de fitness que moi. Penser à y aller plus souvent.

Aux Jeux.

Soirée minable – vraiment minable – en perspective. Il n’y a personne.

Je me précipite vers Odalisque, mais je vois à ses yeux qu’elle me supplie de fuir. Elle me toise du regard le plus faussement mielleux, le plus hypocritement voulu (en ce sens qu’elle veut que je vois son hypocrisie) ; échaudé, je ne m’attarde pas. Elle a tout de même le temps de me présenter une gonzesse, qui murmure un vague bonsoir avant de replonger dans sa contemplation hautaine de la salle (c’est dingue comme ces fille s’imaginent s’élever au dessus de la mêlée quand elles ne font que ressembler à des poissons morts) et son petit ami, qui semble étonnement sympathique, jusqu’à ce qu’il dise : ici, c’est ma maison, je viens toutes les semaines, vraiment tout le temps !

Sans compter que je ne l’ai évidemment pas vu jeudi dernier (Odalisque n’aurait pas manqué de me le présenter pour se débarrasser de moi), cette phrase crée en moi le besoin, une réelle urgence, de fuir loin, et répondant vaguement quelque chose, je m’échappe à toute vitesse, loin de ce trio ridicule.

Je surgis sur la piste de danse, désespérément déserte. Il ne reste qu’une poignée d’individualités évanouies et les inévitables touristes.

Il y a évidemment Sissi, qui dandine son cul fantastique sur le podium, face à moi, et puis soudain elle se retourne, et me lance un regard savamment aguicheur… Tiens, peut-être que la soirée n’est pas si minable que ça…Las ! Ce que j’ai vu, c’était une illusion, et, troublée par mon regard féroce, elle court se réfugier dans les bras d’un obscur lampiste. Je me jette vers le bar.

Plus tard                                                      

Cette soirée ne semble pas vouloir s’achever. J’ai oublié Sissi, qui depuis longtemps s’est soustraite à ma vue pour disparaitre dans l’obscurité malsaine, striée de lumières artificielles, vertes, roses et blanches. Je danse depuis ce qui semble une éternité avec S. et G., l’une parle trop, l’autre pas assez. J’ai longtemps cru que la première était la mère maquerelle de l’autre, et les rêves les plus salaces naissaient dans mon occiput déchainé et anesthésié par l’alcool, mais il apparait maintenant que S. est réellement gentille, même si elle affiche un air de duplicité dont est incapable G., si ingénue, et si candide. Son regard la veille – mercredi – dans ce bar irlandais alors qu’elle dardait ses yeux si innocents sur moi en déboutonnant ma chemise, tandis que le reste de la bande affrontait un groupe de nègres dans une absurde Battle, au milieu des touristes américains, qui n’aiment pas qu’on touche à leurs copines, et les chopes renversées.

Encore plus tard

Je rentre avec Jean-Foutre et Pétassa (cul superbe, belles jambes, divine, conversation inexistante). Je suis absolument incapable de conduire : heureusement Jean-Foutre, cet enculé, me ramène près de chez moi. Pendant le trajet, je sombre dans l’inconscience. Quand je reviens à moi, Pétassa a disparu de la banquette arrière, et je m’aperçois que Jean-Foutre me parle (mais depuis combien de temps ? Je le soupçonne de parler sans interruption depuis qu’on est sorti de la boîte) ;

-… Non mais Pétassa c’est une bonne pote. Tu vois c’est cool de triper sans chercher à sortir avec. C’est ça les bonnes potes.

Au secours. Une envie pressante de me suicider. Mais les conneries continuent :

Jean-Foutre (toujours lui, qui d’autre ?) :

- On s’est bien amusé ce soir, non ?

Peut-être, mais tu semble oublier que la caque sent toujours le hareng. La caque sent…toujours…le hareng ! Tu pues le hareng !

Mais je dis :

- Ouuu-ouais… Et Pétassa, quel cul elle a, putain !

A cette réflexion d’une vérité imparable, Jean-Foutre répond, imperturbable, la voix geignarde et stridente :

- Ah non, c’est sur, elle est mignonne, mais c’est surtout une fille géniale.

Dis tu es pédé ou quoi ? Cette fille, en dehors de son physique, tout ce qu’on peut lui trouver d’attachant, c’est son silence, dans les rares moments où elle la ferme.

Et le caquetage inepte continue de plus belle, sans que je puisse faire quoi que ce soit pour m’y soustraire.

Et je jette des regards apeurés autour de moi.

Et soudain le suicide devient terriblement tentant.

Vendredi

L’écume aux lèvres, Melchior éructe des insanités aux rares passagers du métropolitain. Paul Owen ausculte craintivement ses cheveux dans un miroir de poche, persuadé qu’ils ont encore reculé sur son crâne. A raison, comme je m’empresse de le lui signaler. L’usure des débauches se lit sur nos visages avilis et blasés. Mes yeux sont devenus d’un gris délavé, rendu presque transparent par l’abus d’alcool. Melchior finit par épuiser son répertoire d’insultes en portugais, et c’est heureux, car nous arrivons à destination. L’un d’entre nous (je laisse le bénéfice du doute à Melchior) projette d’un mouvement brutal la dépouille d’une bouteille de vodka au loin, quelque part vers les gens.

Le lendemain

Le matin qui succède aux nuits agitées, la conséquence souvent précède la cause. Je subis d’abord cette rage sourde contre moi-même, avant d’en identifier la raison exacte. Pendant quelques heures, affalé sur ma couche, mon cerveau énervé roule sur les possibilités de méfaits nocturnes. Il n’y a ni cadavre dans le placard, ni femme dans mon lit. Alors quoi ? Il y avait beaucoup de minettes mineures hier soir. Beaucoup trop… En aurais-je pris une ? Rendu fou et priapique par l’abus de drogues et l’abondance de chairs dévoilées, j’aurais souillé l’innocence mutine d’une grisette aventureuse de mes appétits dépravés ? Non, ce n’est surement pas ça. Le souvenir d’une bonne prise conjugué à la satisfaction d’avoir violé la loi m’aurait mis de bonne humeur, loin du noir sentiment qui m’habite actuellement. 

Comme un subtil changement dans l’atmosphère, comme une rumeur sourde qui emplit de son silence horrifiant l’air autour de moi. La soirée de hier a acté notre vieillesse. Dans une boîte qui avait vu s’ébattre, puceaux et fébriles, les premiers émois de nos cervelles imbéciles, nous nous sommes brusquement retrouvés dans la peau de ces vieux noceurs que nous moquions jadis avec le rire grêle de la jeunesse. Nous avons vu les regards faciles des filles perchées à nos portefeuilles et à nos barbes blasées. Nous avons perdu l’enthousiasme stupide qui dilatait nos pupilles insolentes, nous avons vu la nouveauté et la découverte disparaître dans l’obscurité des jours enfuis. Et dire qu’il nous reste encore tant d’années à vivre !

J’ai récemment fait l’acquisition d’un livre très intéressant ; « Mourir jeune », par le docteur Mengele. On y trouve des éléments de réponse à cette ennuyeuse «crise de la jeunesse dorée qui nous vaut de subir la masturbation mentale d’innombrables jeunes crétins sur de non moins innombrables blogs à travers le monde.

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