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Le chemin de Damas
27 juillet 2009

Dionysos Omestès

J’émerge lentement des torpeurs éthyliques où j’ai sombré, et j’entreprends de coucher sur le papier l’onanisme lascif de mon esprit enfiévré.

Tout commença un soir de Juin ; délivré de cette longue période d’abstinence et de misère qu’on appelle examens, je résolu de m’enfoncer dans les allées glauques de l’ivresse et de la débauche. S’ensuivit l’euphorie d’une victoire futile et très éphémère, auquel s’ajoute le plaisir de voir le dépit meurtrir les faces envieuses de certains rivaux. Futile et éphémère, qui m’inspirent, le lendemain matin, dans la mollesse ouatée et douloureuse du jour qui suit les nuits d’excès, des réflexions décousues et abruties d’imbécile heureux sur la Fortune et ses vicissitudes ; à peine donné, aussitôt repris, ce dont je conçu un vif regret.

On voit là l’influence extraordinairement néfaste de longues périodes d’ermitage sur l’œil humain. Comme l’enfançon qui prend pour mère la première image qui se grave sur sa rétine stupide, mon esprit récemment déchainé poursuivait de ses imaginations assidues la première femme dont j’avais goûté les lèvres humides, après de longues semaines de désolation ennuyée.

Quel châtiment cruel mais non moins mérité ais-je encore attirer sur moi, du fait de mon ubris démesurée ? Quelles lois immuables ais-j’enfreins pour subir l’odieuse limitation de mes passions ? Quelle divinité moqueuse rit de mes errances et des fols espoirs que souvent je secrète au fond de mon esprit enténébré et noirci de mauvaises passions, enfumé d’alchimies odieuses aux hommes et à Dieu ? Quelle loi a ordonné d’abattre celui qui, plus grand que le Monde, se dresse à sa surface, menaçant la paix des mortels de son immense et odieuse présence ? Quelle Némésis me frappera encore, alors que j’erre dans les déserts sans vie, les cratères dénués du moindre sens, seul et éperdu, quand, mauvais et féroce, je grince des dents et j’éructe, gonflé d’une ambition insane, décrétée telle par les dieux jaloux qui ont écrit qu’à ma médiocrité jamais je ne devais m’arracher, pauvre pantin décharné qui oscille perpétuellement aux confins du monde connu, cherchant sans cesse à s’en échapper, s’épuisant dans de vaines tentatives pour percer le voile de la réalité qui obscurcit toutes choses et m’empêche imperturbablement d’obtenir ce que je veux mien ?

Je me suis réveillé avec un profond sentiment de haine envers moi-même. J’écumais littéralement de rage et de colère. J’ai passé l’après-midi à me maudire. Heureusement, il me reste cet aphorisme (admettons qu’il est des jours dans la vie où ce vain dandy d’Oscar Wilde se révèle des plus secourables) : vivre mal et bien mourir est très facile. Je dois vraiment me retirer du monde si je veux éviter que ma déconnection totale du réel apparaisse à ceux qui font l’erreur de me fréquenter. Mon masque de normalité s’effondre chaque jour un peu plus, dévoilant l’hideux spectre qui rôde derrière mes yeux délavés. Je suis devenu incapable de bien me conduire, et j’échappe à moi-même. Si je suis trop veule pour me couper la gorge, il faut que je fuie loin de tout ça ; ne voir personne pendant deux mois sera une bénédiction.

Satrape libidineux ! Effroyable Sardanapale aux traits sinistres et débauchés ! Poulpe lascif ! Voilà les noms que la masse me donna. On désirait ma chute, on dévoilait mes turpitudes, on réclamait ma tête décollée. Qu’il y a peu de la Roche au Capitole ! Quand Démétrios revint devant Athènes, les serves citoyens qui l’avait adulé et déifié lors de son précédent séjour le déclarèrent monstre et débauché. J’ai connu la traîtrise, la lâcheté et la fourberie inquiète de ceux que, le jour d’avant, je tenais encore pour mes alliés. Les femmes que j’ai subjuguées se sont retournées contre moi, mes clients et mes affidés – Tartuffes sanguinaires - se sont détournés de moi. J’ai été désigné à la multitude comme l’Ennemi, la figure spectrale et sinistre qui s’agite en coulisse, qui emplit le monde d’effroi et empuantit l’air de sa charogne.

Un mangeur d’enfants ! Un minotaure syphilitique qui de ses assiduités dépravées poursuivait les jeunes filles innocentes. Mes sueurs délétères impitoyablement souillaient la vertu de la prude fleur qui a peine s’épanouissait dans l’aube rose de ses premiers printemps, pure et nouvelle à la vie, jusqu’à ce que le cruel fléau de mes yeux rendus délavés par une abondance excessive de turpitudes se pose sur elle. Alors le ciel se voila de grandes ailes noires et obscures, sinistres hérauts de ma venue, dont déjà on entendait l’imminence au bruit sourd de la rumeur grandissante qui plongeait l’humanité entière dans un effroi sans nom. Une flamme odieuse et maligne brillait au fond de mes orbites malveillantes, mes narines dilatées à l’extrême humaient l’air avec avidité, impatientes de détruire quelque vie humaine, offerte à moi comme la victime expiatoire sur l’autel d’une religion impie et cauchemardesque telle que pratiquée dans certaines caves glauques et maléfiques au cours de sabbats effrayants où des hommes et des femmes se commettent dans les plus vils tréfonds de la conscience humaine, rêvant aux temps où Gog et Magog sortiront du long sommeil, quelque par là-bas à l’Est, derrière les Portes de Fer, pour apporter aux vivants apocalypse et désolation. Et la victime livrée à mes assauts gît, tremblante de dégout, au milieu de ce paysage halluciné aux couleurs trop vives et aux contrastes peccants. Au sommet de mon crâne ; le roi Priape. Ses traits de primate se tordent et se contractent en une grimace grotesque alors qu’il m’ordonne de satisfaire ses commandements.

Quand viennent les temps d’incertitude et d’alarme, quand des nuages sinistres aveuglent le ciel inquiet, l’homme cherche refuge dans les torpeurs troubles de l’alcool. Une mauvaise fièvre agite mon corps énervé en ces derniers jours de Juin. L’ataraxie se dérobe à mes mains avides et mobiles, qui ne la cherchent pas, et tremblent de mouvements incontrôlés dans la direction opposée, brûlant de caresser un corps interdit et sans cesse dérobé avec une cruauté non moins égale à l’impudeur avec laquelle il a un moment miroité à mes pupilles toujours inquiètes. Une atmosphère trompeuse de rires et de gaité imprègne ces derniers jours de l’année finissante, quand les débauches succèdent aux bacchanales sans la moindre interruption ; les dents blanches sont trop fréquemment dévoilées par des rires obscènes ou stupides, hébétés d’alcool et de plaisir ; une torpeur maligne exsude des corps affaiblis et enjoués, maintenus éveillés par l’impatience effrénée des plaisirs et des fêtes grandes ou sordides qui fuient l’ennui, ce fléau de mes compatriotes qui vient comme le héraut de la mort dont il dévoile parfois, aux âmes borgnes, le crâne hideux et grimaçant, aux orbites vides du néant qui creuse nos tombes.

Un tressaillement involontaire fait trembler mes lèvres, qui se mordent l’une l’autre avec une égale frénésie, tandis que mon regard vide et charnel s’aveugle aux principes et aux entraves pour ne plus voir que les courbes agréables d’une femme et la satisfaction de mon ego défaillant. Je peux dire sans crainte d’être contredit (par qui ?) que j’ai vécu dans mes imaginations plutôt que dans le réel. D’où l’euphorie hébétée et sotte qui me prenait quand parfois la vie réelle satisfaisait aux violentes démesures de mon ubris irrationnelle. Mais le plus souvent, le soleil de la réalité a flétrit mes veules désirs. Les spectres de mes obsessions s’effacent souvent avec régularité, ils disparaissent à ma vue, mais demeurent toujours quelque part à l’arrière de mon crâne, comme endormis et latents, prêts à souffler sur les cendres de mes passions déraisonnées. J’erre à la déroute des lèvres entrouvertes dont je ne parviens pas à détourner le regard. J’oscille aux limites charnelles des promesses évanouies et miroitées dans l’eau trouble des nuits irréelles et alcoolisées.

Quand, dans un dernier soupir douloureux de fureur retenue et d’énergies déçues, l’homme entreprend de s’arracher aux réalités décevantes de l’amertume, ce n’est pas sans un regard involontaire et répété pardessus son épaule, en direction des chimères trompeuses et fanées des jours où il cru possible d’être tout, et fut peut-être bien près d’y parvenir. Et les chimères continuent de voler dans le lime brouillon des dernières émotions qui, certaines nuits d’insomnie, n’ont pas encore fui le cerveau anesthésié du viveur moribond et anéanti par une abondance illimitée de passions inertes. Je gisais, étendu dans mon linceul moite de torpeur, alors que la nuit pâle et lugubre de promesses évanouies se retirait enfin ; une hébétude stupéfiée clouait mon corps débile aux draps gris de mon suaire ; ainsi immobilisé, je rêvais de piller le corps alangui d’une femme que peut-être je ne haïssait point ; égaré dans les rêves sans frein de l’utopie, je promenais des mains nerveuses et inquiètes sur sa dépouille splendide et moirée. Dans l’irréalité morne du petit matin, je rêvais d’émotions fortes et de regards embués, mais toujours mes imaginations mobiles s’arrêtaient aux limes du non-vu et du dissimulé. Plus qu’à la chair, c’était aux sentiments que j’aspirais.

Les sentiments ! A  l’époque, c’était devenu un luxe inaccessible. A l’époque, mes yeux étaient d’une fixité inquiétante. Aveugles à tout ce qui dépassait mon horizon immédiat, ils scrutaient avec l’impavidité du fou le charnier gigantesque qui m’environnait de toutes parts. Les plaisirs divers et variés, l’alcool et les drogues, des visages à peine aperçus et déjà dérobés à la vue, trop de yeux identiques qui tous reflétaient le néant, qui ne regardaient rien que l’insondable vide, les musiques éphémères, les lumières artificielles et criardes, une fausse obscurité de commande ; tout cela composait mon quotidien à l’époque. A mon oreille murmurait un chien vicieux ; il m’ordonnait de chercher autre chose, de tenter, dans un effort désespéré et couteux, de m’extraire de la vase mortifère où nous nous enfoncions tous. Il disait : vois ! Vois l’horrible clameur d’agonie qui monte de toutes ces gorges, vois la pourriture cadavérique qui suinte derrière les faces réjouies et les sourires chaleureux ! Vois l’imposture qui s’exhale du plafond mordoré de chimères, goutte à goutte ! Et le chien ricanait et jappait de contentement quand je croyais trouver mon salut dans les bras inertes d’une femme, car il anticipait les déconvenues et les désillusions qui inévitablement suivraient, car je me refusais encore à comprendre que la chair nappée du vernis de l’émotion n’était qu’un opium de plus. 

La divinité sourde s’est détournée de moi, et à l’heure où j’écris, les flammes du Jugement Dernier ravagent les ruines enchevêtrées de la grande Babylone où j’ai vécu, si l’on peut appeler ainsi la longue dissolution de mes miasmes dans l’obscurité clinquante et bruyante des journées sans fin. Une langueur fiévreuse décimait mes volontés dans l’atmosphère déclinante des derniers jours de Juin. Une lourde bourrasque j’attendais en vain, qui aurait tout balayé. Maximes insensées, aphorismes stériles, dialogues assourdis ; c’étaient là les conversations desséchées pleines d’une jubilation automatique. Une pesante odeur de charnier pesait sur la ville, inquiétait l’esprit et énervait les corps déjà débilités par une excessive succession de bacchanales.

Sous les plafonds altiers qui composaient la ligne de mon horizon quand, affalé de débauches, je jetais un œil fixe et aveugle sur les moulures parthénopéennes, un jeu macabre achevait de brûler les corps. Déjà mes poumons brûlaient de l’air vicié du matin précoce et cruel qui dévoilait, impitoyable, mes débordements à la lumière crue du jour contempteur des vices nocturnes. Moi-même, je ne m’étais point épargné, et je m’étais jeté avec une sorte de désespoir ivre dans la fureur moite du dancefloor. Mais las ! les tribulations iniques d’un destin qui ne l’est pas moins ont tôt fait de me rattraper, et d’une main de fer me rejeter dans la houle d’incertitude inquiète qui parfois s’impose aux crânes creux des noceurs ivres morts. Ballotté de ci de la comme le frêle esquif de ma conscience sur la mer déchainée des passions factices, je ne quittais qu’à regret des yeux une femme que peut-être je ne haïssais point et voulais mienne.

Quand, rendues orgueilleuses d’espoirs déçus, mes orbites cessaient de scruter ses dents blanches dévoilées par un sourire qui ne s’adressait pas à moi, elles – mes orbites, inattentif lecteur – se dressaient, impérieuses et arrogantes d’une morgue fatiguée, vers les plafonds aveugles d’où tombaient les stries cancéreuses d’une lumière verdâtre. En ces moments là, j’avais acquis la certitude que le siècle mourait avec moi. Aveugle aux bouches offertes qui semblaient m’encercler, je n’en guettais qu’une, dont le rire narquois était tout ce que je pouvais espérer, et quand, par une coïncidence qui n’était peut-être pas l’enfant du hasard, des lèvres entrouvertes effleuraient les miennes dans une ronde hébétée, je dressais la tête, frénétique, afin de bien m’assurer que la narquoise n’avait rien raté de la scène, censée démontrer une fois pour toutes mon triomphe absolu sur les choses de la vie. Mais avec l’indifférence absolue que toutes les jeunes filles apprennent à contrefaire dès leur plus jeune âge, elle gazouillait à quelques millimètres d’un nain jaune et certainement pédé, sans accorder un seul regard à mes gesticulations navrantes. L’eut-elle fait, je l’aurais immédiatement regretté, car l’espoir est le fils de Priape, et toujours avec entrain je m’aveugle, impavide, à tous ces méfaits odieux que peut-être j’ai commis, et qui ne jouent certainement pas en ma faveur.

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